Fem&L.A.W. a adressé aujourd’hui à la Conférence du Jeune Barreau de Bruxelles, en tant que lettre ouverte, le courrier ci-dessous.
Chères consœurs, chers confrères,
Mesdames, Messieurs,
La charmante photo que vous avez choisie comme couverture, pour le dernier numéro de votre Périodique (février-avril 2019), a suscité de nombreuses réactions et divers débats, tout comme votre éditorial et un « billet d’humeur » que vous y avez publié.
Nous vous écrivons aujourd’hui pour nous réjouir avec vous du caractère parfaitement anodin de ces choix éditoriaux, qui s’inscrivent dans un contexte absolument défait de tout sexisme et toute inégalité entre les femmes et les hommes, notamment entre celles et ceux qui pratiquent le droit – un état de fait qui rend bien sûr anecdotiques des événements comme ceux qui ont émaillé votre conférence Berryer : il s’agit là des traces amusantes et « grivoises » de phénomènes parfaitement dépassés aujourd’hui, traces qui montrent d’ailleurs à quel point les femmes sont aujourd’hui « libérées, délivrées » (sic).
Nul ne pourrait en effet, de bonne foi, percevoir la moindre différence entre la demi-nudité de Lycurgue, roi de Sparte et législateur légendaire apparemment plongé dans de profondes réflexions, et celle de la jeune femme voluptueuse qui pose à ses pieds sur votre photo de couverture. Tout comme nul ne pourrait, sauf à verser dans un prêchi-prêcha bien-pensant, contester que les propos tenus à la Berryer laissaient à chacune la liberté totale, « par choix et non par crainte », de « tracer les contours de la blague, de la tentative – importune ou non – de la séduction, de l’humiliation, du harcèlement, etc. » : le cadre de cet événement le permet et il existe bien sûr des tentatives opportunes d’humiliation et de harcèlement ! Bref, votre « billet d’humeur » comme cette photo de deux nus (un homme, une femme, en toute égalité) ne manifestent aucunement la reproduction de stéréotypes sexistes : les 45,9% d’avocates et les 46,6% de stagiaires féminines qui composent le Barreau de Bruxelles se sentiront adéquatement représentées par cette évocation de l’avocature, tant photographique que dans ses pratiques « festives ». Les avocates pourront même trouver là l’occasion de se souvenir qu’une attitude suave permet en outre que la justice et les hommes (de marbre, comme Lycurgue) leur soient favorables – un avantage indéniable, dont ne bénéficient pas leurs confrères.
On n’identifie pas davantage, sur cette photographie, la moindre position de subordination entre la jeune vestale dénudée et le patriarche mythique, fût-ce par leur taille ou leur position respectives, tout comme on ne perçoit aucune évocation de logiques de domination dans votre commentaire des blagues énoncées à la Berryer. Et l’on n’y trouvera donc aucune raison de rappeler que les avocates sont surreprésentées dans les classes d’âges les plus jeunes et les fonctions les plus basses, au Barreau, ni qu’en moyenne, les avocats perçoivent une rémunération double de celle perçue par leurs consœurs.
Par ailleurs, on ne voit aucune limite à l’approche individualiste adoptée dans votre billet d’humeur : il n’est rien à ajouter, si des femmes acceptent de poser aux pieds d’une statue, seins nus et lascives, ou de recevoir sans broncher piques sexistes ou attouchements de mains baladeuses lors de concours de plaidoirie. Que des juristes de votre trempe choisissent une photo issue d’une série intitulée Fifty shades of justice, que l’artiste qui y est représentée ait par ailleurs d’autres engagements, qu’un phénomène de société soit identifié par tous les observateurs (scientifiques, politiques ou associatifs), peu importe puisqu’aucune des personnes concernées « n’en a cure » (sic) individuellement. Il n’est évidemment aucune responsabilité des organes représentatifs, à cet égard, ni aucun effet de l’art ou de l’humour quant à la prise de conscience et la perpétuation d’un ordre établi.
Enfin, il n’existe évidemment aucune distinction entre les différents types d’humour – tout comme le lieu d’énonciation et la forme des plaisanteries n’ont aucun effet sur leur qualité : le caractère comique de la couverture du récent Périodique et la pertinence de vos articles sont tout à fait incontestables. Qu’il s’agisse là de représentations de la « vie sociale » au Barreau, animée par la CJbB, ne pourra que réjouir le monde juridique et judiciaire. Lequel ne manquera pas, c’est certain, de prendre au sérieux la mobilisation des femmes juristes, notamment lors du 8 mars prochain.
En attendant impatiemment votre prochaine publication et les événements que vous offrirez au Jeune Barreau, nous vous prions de croire, chères consœurs, chers confrères, mesdames, messieurs, en l’expression de toute notre considération,
Fem&L.A.W. asbl
Les chiffres mobilisés dans ce communiqué sont issus de la Radiographie du barreau de Bruxelles 2017, Barreau de Bruxelles – Ordre français / G. Lewkowicz, http://www.barreaudebruxelles-lalettre.be/document/divers/radiographie.pdf