Consentement et infractions sexuelles : croire les femmes

Une grande réforme du Code pénal est en cours. Depuis plusieurs mois, ce sont les infractions sexuelles qui font l’objet des débats parlementaires – nous avons d’ailleurs été auditionnées à ce sujet, le 26 octobre dernier, par la Commission Justice de la Chambre.

 

Parmi plusieurs polémiques, la question du consentement divise visiblement. Nous nous sommes exprimées à ce sujet, à l’automne, et nous réjouissons de certaines avancées : elles pourraient bien mener à ce que, désormais, nul ne puisse se prévaloir du consentement d’une personne inconsciente, endormie, effrayée ou intoxiquée au point qu’elle n’ait pu faire preuve de libre arbitre. Cela marque un changement bienvenu quant à la pratique dominante aujourd’hui, que nous avions critiquée dans notre Code de droits des femmes. Cela marque aussi une moindre différenciation d’avec la matière civile, où l’intoxication grave d’alcool (et autres substances) est considérée comme un vice du consentement et donc comme une cause d’invalidité des contrats, par exemple – ceci dit, le projet de réforme pénale prévoit, plus restrictivement qu’en droit civil, qu’il faudrait que l’acte ait été posé « au préjudice » de la victime ou en « profitant » d’elle pour qu’il s’agisse bien d’une infraction ; heureusement, au vu des travaux parlementaires, ceci ne devrait pas être compris comme emportant l’exigence d’une intention dans le chef de l’auteur (on ne peut à cet égard que se réjouir du fait que les parlementaires n’aient pas traduit littéralement la législation suédoise et son « exploitation indue » – comme si l’exploitation d’autrui pouvait être due…).

Par contre, le risque d’un certain recul nous paraît pointer à l’heure des dernières discussions. Sans entrer dans le détail des échanges oraux, dont certains nous ont semblé particulièrement interpellants, lisons le texte. Nous ne voyons pas en quoi spécifier que l’altération du libre arbitre doit être « significative » augmenterait la « marge d’appréciation » laissée aux juges : en toute logique et comme le savent les juristes, les ajouts textuels ont l’effet inverse – et il est principiel que toutes les dispositions fassent l’objet d’une interprétation à la lumière des faits. Il n’a pas été demandé, ni traduit dans le texte du projet, que toute ingestion d’alcool implique un non consentement : il est proposé que la vulnérabilité liée à une situation où le libre arbitre est altéré soit, elle, une raison d’interroger l’auteur sur le consentement de son/sa partenaire – à charge donc pour la partie plaignante de prouver cette vulnérabilité ainsi que son effet sur sa capacité à décider. Alourdir la charge de cette preuve ne renforce pas le pouvoir des juges et ne protège pas les auteurs présumés ; par contre, elle envoie un message aux victimes : ne croyez pas qu’on vous croira sur parole, ne croyez pas qu’on entend vous faciliter la tâche.

 

Démocrates, nous défendons la présomption d’innocence. Mais nous savons aussi à quel point il est difficile de porter plainte pour une agression sexuelle, d’une part, et à quel point la parole des femmes est systématiquement remise en question, d’autre part. Comme l’ont révélé certains éléments des travaux parlementaires, on constate hélas que se maintient le fantasme de victimes menteuses, qui feraient un usage malveillant de la loi pour nuire à des hommes innocents – une crainte qui ne se marque pas à l’égard d’autres infractions (s’inquiète-t-on à ce point de fausses plaintes pour vol ?)… mais qui se marque ici, dans un domaine où l’immense majorité des victimes sont des femmes, où l’immense majorité des auteurs sont des hommes.

 

Notre association est apartisane : nous ne soutenons aucun parti politique et nous savons que la cause des femmes trouve des relais courageux parmi la plupart de ces derniers. Nous appelons donc nos allié·es à la réflexion avant le vote prochain : la réforme des infractions à caractère sexuel est un moment important pour les femmes. Pour toutes celles qui en ont été victimes et n’ont pas osé porter plainte – un phénomène avéré, contrairement à celui des fausses accusations. Pour toutes celles qui ont porté plainte et n’ont pas été crues. Pour toutes celles qui se demandent ce qu’elles feraient si elles subissaient ce genre d’acte ignominieux – qui se demandent si elles seraient accompagnées.

 

La question aujourd’hui est celle de la confiance. De la confiance en l’institution judiciaire, quant à l’interprétation dont elle a la compétence. Et de la confiance en l’État qu’il s’agit de renforcer, ou non, dans le chef des justiciables. Par la confiance qu’il serait grand temps de prêter aux femmes qui portent plainte pour agression sexuelle, comme aux autres justiciables.

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Fem&LAW